La France n’est pas ruinée, elle est désorientée. Une analyse d’un pays qui dépense pour masquer son impuissance, qui centralise pour fuir la décision et qui confond encore grandeur nationale et culte du chef. Derrière la dette, c’est la cohérence du projet républicain qui vacille.
Depuis des décennies, la France dépense pour différer ses réformes, centralise pour masquer ses impuissances et invoque l’unité pour ne pas assumer ses fractures. Le pays qui inventa l’État moderne et la démocratie représentative est devenu un théâtre d’ombres, où l’intérêt général se dilue dans la mise en scène des egos.
Il fut un temps où la politique française était le lieu du sens, de la controverse, du courage. Elle est devenue un spectacle. Chaque crise se joue sur la scène d’une élection permanente ; chaque parole publique se mesure en parts d’audience. L’élection présidentielle, jadis sommet de la souveraineté populaire, s’est transformée en show de personnalités. La République s’y fait monarchie émotionnelle, la délibération s’efface devant la dramaturgie.
De la verticalité à la vacuité du pouvoir
Et si, pour sauver la démocratie, il fallait cesser de la confondre avec le culte du chef ? La Constitution de 1958 n’avait pas prévu ce culte : le président devait incarner l’État, non la Nation. Le suffrage universel direct a fait de lui un miroir, celui des divisions françaises. Dans une société éclatée, vouloir tout recentrer, c’est nourrir encore la fracture.
Le pouvoir, désormais, se confond avec sa propre mise en scène : il parle beaucoup, agit peu. Et pendant que l’État se donne à voir, le réel, lui, s’éloigne.
Quand la majorité devient fiction
Car un théâtre n’existe qu’à condition d’un public et ce public ne croit plus à la pièce. Le fait majoritaire, pilier de la Ve République, suppose un peuple homogène, rassemblé autour d’une même vision. Ce peuple-là n’existe plus. La France du XXIᵉ siècle est plurielle, inquiète, fragmentée. Elle ne se laisse plus gouverner d’en haut.
Il faut réapprendre la modestie du compromis, cette vertu que notre culture politique confond encore avec la faiblesse. La démocratie n’est pas l’art de convaincre tous les autres, mais celui d’habiter le désaccord. L’intérêt général n’est pas la somme des certitudes : c’est la science des équilibres.
L’économie comme anesthésiant
Quand le politique s’épuise dans l’incantation, l’économie prend le relais : non comme moteur, mais comme calmant. La dépense publique devient le dernier langage du pouvoir. Nous ne gouvernons plus : nous subventionnons notre impuissance.
Selon la Banque de France, le déficit public atteindra 5,8 % du PIB en 2024 et la dette 113 %. Fitch a retiré à la France son « double A ». Mais la vérité n’est pas comptable : elle est morale. L’endettement n’est plus un instrument de relance, c’est un mode de gouvernement. On ne réforme plus : on achète du temps.
Le désordre institutionnel, miroir du désordre moral
Sous la surface, l’État s’est morcelé. Ni centralisé, ni décentralisé, il s’étire entre des niveaux de pouvoir qui se neutralisent. La commune partage ses compétences avec le département, le département avec l’État et l’Europe, l’État avec les collectivités : bilan, chacun agit à moitié, personne ne décide vraiment.
Il faut choisir : un État stratège et resserré, ou une fédération assumée. Tout sauf ce marécage institutionnel où la décision se perd avant d’exister.
Protection sociale : le miroir de nos contradictions
Le modèle social français, autrefois fierté nationale, est devenu un labyrinthe sans plan. La Sécurité sociale accumule les déficits (22 milliards en 2025), et ne sait plus ce qu’elle protège. De 90 % dans les années 1980, la part des cotisations dans son financement est tombée à 48 %.
La France préfère maintenir le flou, parce qu’il tient lieu de consensus. La protection sociale, née pour unir les Français, est devenue le miroir de nos contradictions : nous voulons tout, pour tous, tout de suite ; sans en payer le prix.
Le désordre budgétaire n’est pas une question de chiffres, mais de maturité.
Identité, peur et fermeture
Le pays vieillit, sa population stagne, sa fécondité décline. Et comment répondons-nous à ce lent effacement ? Par le repli. On parle d’identité comme on parlait jadis de croissance : avec fièvre et nostalgie. Mais une civilisation qui se ferme pour se protéger se condamne à disparaître.
L’Europe doit redevenir un continent d’accueil, non par bonté mais par lucidité : sans ouverture maîtrisée, sans renouvellement humain, notre modèle social et notre promesse républicaine s’éteindront ensemble.
Refonder la République
Refonder la République, ce n’est pas changer de texte : c’est retrouver le fil de la cohérence. Faire que nos institutions reflètent nos valeurs, que nos dépenses traduisent nos priorités, que nos solidarités soient tenables.
Ce qu’il faut sauver n’est pas la France d’hier, mais celle de la raison : celle qui savait unir rigueur et imagination, discipline et liberté.
L’heure n’est plus à la colère ni au repli mais au courage : celui de regarder le réel en face, et de comprendre que le vrai déclin d’une nation ne se mesure pas à sa dette mais à la perte du sens de ce qu’elle veut bâtir ensemble.