Jamais la puissance publique n’avait autant désinvesti la culture. Ce constat, dressé par Vincent Guillon, codirecteur de l’Observatoire des politiques culturelles, a de quoi inquiéter. Car au-delà des chiffres et des budgets en berne, c’est une véritable crise de légitimité qui frappe le secteur culturel. Jadis perçue comme un moteur de développement et un élément central du contrat social, la culture est aujourd’hui reléguée au rang de dépense non essentielle, sacrifiable sur l’autel des arbitrages budgétaires.
Derrière cette évolution se profile une mutation idéologique pernicieuse : la culture ne serait plus une nécessité collective, mais un luxe réservé à une élite ou un simple divertissement commercial. L’argument de la démocratisation, longtemps brandi comme une justification des investissements publics, se retourne contre le secteur : si certains équipements restent difficilement accessibles à des franges de la population, pourquoi continuer à les financer ? Cet argument cynique oublie toutefois que la mission de la culture publique n’est pas de suivre la loi du marché, mais bien d’élargir l’horizon du plus grand nombre.
Le mal est plus profond encore. Ce qui relevait jadis d’un consensus politique trans-partisan s’effrite. On assiste à une remise en cause insidieuse de l’utilité même de la culture, doublée d’un populisme identitaire qui préfère ériger une culture figée, enracinée dans des mythes nationaux, plutôt que de promouvoir la diversité et la création contemporaine. Ce glissement traduit un désengagement volontaire, voire une hostilité assumée, envers les artistes et les institutions qui ne cadrent pas avec cette vision passéiste.
Le risque ? Un « scénario darwinien », où seuls les plus solides survivent. Si l’État et les collectivités poursuivent leur repli, le maillage culturel déjà fragilisé pourrait s’effondrer, laissant place à un paysage dominé par quelques grandes institutions capables de capter des financements privés, toutes essentiellement parisiennes. Ce modèle, dont certains rêvent, n’a pourtant rien d’une solution viable : sans engagement public, la diversité artistique s’étiole et la culture devient un produit de consommation standardisé.
Refuser ce naufrage implique de repenser le rôle de l’action publique en matière de culture. Plutôt que de se laisser enfermer dans des oppositions stériles entre conservatisme et progressisme. Il est urgent de rappeler que la culture est un bien commun, un espace de dialogue et d’émancipation. Loin d’être un fardeau budgétaire, elle constitue un levier fondamental pour renforcer la cohésion sociale et stimuler l’esprit critique. Encore faut-il une volonté politique pour la défendre et la réinventer, plutôt que de l’abandonner aux logiques du marché ou aux fantasmes identitaires.
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