Il entre, seul. Ou presque. Une silhouette noire, un piano à queue et quelque part dans l’ombre, un Colin Greenwood (du groupe Radiohead) méconnaissable, réduit au rôle de murmure. Pas de Bad Seeds, pas de grand-messe post-punk : ce 6 juillet, à la Philharmonie de Paris, Nick Cave nous a livré autre chose. Un recueillement. Une traversée. Une nudité.
À mesure que les lumières baissent c’est tout un monde qui se retire : celui du bruit, de l’emphase, du spectaculaire. Reste une voix et un homme qui ne joue pas à l’ermite mystique mais qui accepte, avec une douceur inédite, d’être vulnérable. Une mise à nu qui n’a rien de stratégique : elle touche car elle est sincère.
Le deuil comme prisme, la parole comme offrande
Nick Cave n’interprète pas, il confesse. Il ne chante pas, il raconte. Ou plutôt : il se raconte. Avec ses absents : son fils, ses vieux compagnons, ses anciens lui ; comme autant de spectres bienveillants. Lorsqu’il entonne Girl in Amber ou I Need You, la salle suspend son souffle et c’est le silence qui devient musique. Celui qu’on ne triche pas. Celui qu’on respecte comme on respecte un chagrin qu’on n’a pas vécu mais qu’on devine universel.
Loin de l’esthétique gothique qui l’a souvent enfermé, Nick Cave creuse ici son sillon d’homme en paix relative avec ses fantômes. On retrouve l’errant, le narrateur, le prêcheur même.

Un théâtre du dépouillement
Ce n’était pas un concert. C’était un rituel. Pas religieux, celui d’une foi vacillante, douloureuse, profondément humaine. À chaque anecdote entre les morceaux, à chaque regard lancé vers la salle, Nick Cave semble dire : « Je suis encore là. Et vous aussi. » Et cela suffit. Point besoin de grands effets, de crescendo hollywoodien : la dramaturgie est déjà dans chaque ligne de The Ship Song, dans l’abîme discret de Balcony Man.
Et puis, soudain, Jubilee Street déboule comme une transe retenue, un frisson d’outre-nuit. L’audience se redresse, redécouvre qu’elle respire. Juste avant que Into My Arms ne vienne nous cueillir, dans une communion digne d’une chapelle souterraine.
L’épure comme résistance
En ces temps de saturation de pixels, de décibels, d’opinions, Nick Cave fait le choix radical de l’épure. Cela peut sembler lent, parfois long. Mais c’est précisément là que réside la puissance du geste. Il faut oser l’économie dans un monde de vacarme. Il faut oser parler bas pour que les autres se taisent.
Ce soir-là, il ne s’agissait pas d’en mettre plein les oreilles. Il s’agissait d’ouvrir une brèche. De rappeler que la musique peut encore être une chambre intérieure. Une manière de dire : Je ne suis pas guéri, mais je chemine.

Nick Cave, seul ? Non. Ensemble.
En refermant la porte de la Philharmonie on avait le sentiment rare d’avoir assisté à quelque chose de fragile, de précieux, de nécessaire. Un homme qui doute, qui aime, qui perd et qui revient pourtant s’asseoir devant nous, pour chanter, simplement, que cela en vaut encore la peine.
Et dans ce monde abîmé où tout s’accélère, où la culture se vend comme un flux, une telle offrande relève presque du scandale. Ou du miracle.
Ce soir-là, Nick Cave n’était pas seul. Il était avec nous. Et c’est, peut-être, ce que la musique a encore de plus beau à offrir.