Après avoir conquis les Grammy Awards en 2024 avec Blood Harmony, Larkin Poe revient avec Bloom, un album aussi attendu que parfaitement à la hauteur de leur ascension. Porté par l’énergie viscérale et l’indépendance farouche des sœurs Lovell, ce huitième opus studio dévoile un blues rock sudiste moderne, enraciné dans la tradition mais résolument tourné vers l’affirmation de soi.
Dès les premières notes de Mockingbird, le ton est donné : Rebecca et Megan Lovell ne quémandent plus l’attention, elles la captent d’emblée, avec un riff nerveux et une voix qui fend l’air comme une lame. Le message est limpide : il ne s’agit plus de plaire, mais de dire « voilà qui nous sommes » — puissantes, vulnérables, mais jamais soumises.
Avec Bloom, Larkin Poe explore ce que signifie grandir, aimer et résister dans un monde saturé d’images figées. L’album s’inscrit dans une veine introspective, où chaque chanson fonctionne comme un autoportrait musical. Il y est question de liens, de ruptures, d’alignement intime et d’émancipation. Easy Love Pt. 1 et Pt. 2, en miroir, passent de la jubilation amoureuse à l’apaisement domestique avec une sincérité désarmante, portée par le jeu complémentaire des deux sœurs : slide habité de Megan, picking racé et chant habité de Rebecca.

Mais Bloom ne se contente pas de décliner les variations d’un amour apaisé. Nowhere Fast, brûlot d’errance et de liberté, vibre d’une urgence électrique : c’est un hymne pour les déraciné·es volontaires, les cœurs à la dérive qui refusent les cartes toutes tracées. If God Is A Woman, quant à elle, s’impose comme le manifeste féministe de l’album : la voix de Rebecca, légèrement réverbérée, se fait incantation, lançant un avertissement mi-doux mi-féroce à tous ceux qui réduiraient Dieu à une figure masculine et dominatrice.
L’esthétique sonore de Larkin Poe reste sobre, organique, presque brute. Rien d’ostentatoire : seulement des textes affûtés, un groove irrésistible, des harmonies vocales au cordeau. On pense parfois à Bonnie Raitt ou à Joan Osborne, mais les Lovell n’impriment jamais la nostalgie — elles défrichent, tracent leur sillon dans un paysage trop souvent masculinisé du blues-rock.
Le duo, épaulé par Tyler Bryant (guitares, production), Caleb Crosby (batterie) et Michael Webb (orgue), déploie ici une palette instrumentale qui ne cherche jamais l’effet pour l’effet, mais l’émotion juste. Le mix, signé David Benyamin, parvient à faire coexister la rugosité du live et la précision de studio, avec un art maîtrisé de la dynamique.
Et puis, il y a cette dernière piste, Bloom Again, qui referme l’album comme une confidence murmurée : une supplique douce-amère pour que l’amour refleurisse, malgré les blessures. On y sent, plus que jamais, l’alchimie entre les deux sœurs — deux voix qui se cherchent, s’élèvent et se fondent, dans une harmonie presque mystique.
Avec Bloom, Larkin Poe signe l’un de leurs albums les plus accomplis, à la fois rageur et méditatif, ancré et aérien. Une déclaration d’indépendance artistique et intime, qui affirme haut et fort que les femmes ont toute leur place au cœur du blues et de ses métamorphoses. Et qu’elles peuvent, elles aussi, faire trembler les murs.