Et si Maurizio Cattelan n’était ni tout à fait un bouffon, ni tout à fait un prophète ? Avec Dimanche sans fin, le Centre Pompidou-Metz offre à l’artiste italien une carte blanche d’une ampleur rare, à l’occasion de ses quinze ans. Résultat : une exposition qui fait vaciller les certitudes — sur l’art, ses institutions, et le rôle de ceux qui les traversent — dans une mise en scène aussi ludique que profondément dérangeante.
Sur le papier, le projet est brillant : plus de 400 œuvres issues des collections du Centre Pompidou, mises en regard d’une quarantaine de pièces de Cattelan, au sein d’un parcours scénographié selon un abécédaire libre, où chaque lettre devient prétexte à une entrée thématique, parfois intime, parfois absurde. Dans les faits, c’est un musée tout entier qui devient terrain de jeu, ou peut-être terrain miné. Car derrière l’humour potache et les mises en scène caustiques, se loge une méditation plus trouble sur la vacuité, la mort, et la fonction même de l’art dans une époque saturée de simulacres.

Un tel dispositif ne peut qu’évoquer le film The Square de Ruben Östlund (Palme d’or 2017), où un conservateur d’art contemporain se débat entre communication spectaculaire, posture éthique et vide existentiel. Le parallèle est saisissant : comme le personnage du film, Cattelan donne l’impression de tendre un miroir à l’institution, en l’ouvrant au désordre, à l’absurde, à l’ironie. Mais on ne sait plus très bien si ce miroir est tendu contre le musée… ou contre le public lui-même. Qui manipule qui ?
Prenons Comedian — la fameuse banane scotchée au mur, présente ici comme une signature provocatrice. Doit-on encore y voir une critique du marché de l’art, ou bien une complicité avec ses excès ? L’œuvre a été vendue plusieurs millions de dollars, et sa réapparition dans un tel contexte interroge moins qu’elle ne confirme une connivence ambiguë entre geste critique et opération de communication. Comme dans The Square, la frontière entre subversion et validation s’efface.
Mais Dimanche sans fin ne se limite pas à cette ambiguïté. À plusieurs reprises, l’émotion affleure. Dans Felix (2001), squelette de chat géant suspendu, ou dans un autoportrait de 1995, où Cattelan se met en scène tel un chien en attente, c’est la vulnérabilité qui surgit sous la moquerie. Face à ces œuvres, les pièces du Centre Pompidou ne sont plus de simples références : elles deviennent des partenaires de jeu, ou de deuil. Jeune fille endormie de Sonia Delaunay, baignée de jaunes apaisants mais marquée d’ombres bleutées, oscille entre torpeur et disparition. On est dans l’entre-deux : ni satire pure, ni confession sincère. Plutôt un théâtre trouble, où les affects sont filtrés par la mise en scène.

Ce qui distingue vraiment Dimanche sans fin, c’est sa capacité à perturber sans conclure. La scénographie — dense, mouvante, jamais didactique — laisse la place à l’interprétation, à l’errance. On déambule comme dans une conscience fragmentée, une suite de dimanches étirés jusqu’à l’absurde. Cattelan brouille les pistes, comme s’il cherchait à saboter son propre rôle : artiste ? curateur ? critique ? complice ?
En cela, l’exposition est fidèle à une certaine idée contemporaine de l’art, où la posture compte autant que la proposition, et où l’artiste est moins un créateur qu’un perturbateur de sens. À condition, bien sûr, de ne pas y voir seulement un jeu de dupes. Car derrière l’humour, derrière les dispositifs spectaculaires, Dimanche sans fin contient une angoisse bien réelle : celle de ne plus savoir comment croire à ce que l’on regarde.
Exposition « Dimanche sans fin », jusqu’au 2 février 2027 au Centre Pompidou-Metz