Avec Une place pour Pierrot, Hélène Médigue filme moins une histoire qu’un combat intérieur : celui d’une sœur qui refuse d’abandonner son frère aux oubliettes d’une société saturée. Dans le silence et les gestes de Grégory Gadebois, c’est toute la dignité fragile d’un être qui affleure, bouleversante de vérité.
Il y a des films qui se battent à la place de leurs personnages et d’autres qui les laissent, simplement, exister. Une place pour Pierrot, premier long-métrage de fiction d’Hélène Médigue, appartient à cette seconde catégorie. Inspirée de son propre vécu, l’ancienne comédienne devenue réalisatrice choisit d’affronter frontalement une question douloureuse : que fait-on d’un frère autiste dans une société qui, tout en se drapant de grands principes inclusifs, persiste à enfermer la différence dans des structures saturées, sous calmants ou derrière des murs ?
Camille (Marie Gillain), avocate brillante et sœur épuisée, découvre que son frère Pierrot (Grégory Gadebois) est maintenu dans une forme de coma chimique au foyer qui l’héberge. Elle le retire, le ramène chez elle et se heurte alors à ce que tant de familles connaissent : l’inextricable toile d’une bureaucratie lente, des arbitrages familiaux douloureux, l’absence de places dignes. Le récit épouse ce combat, sans pathos inutile, avec la conviction tranquille qu’il n’existe pas de neutralité face à une telle injustice.
Hélène Médigue ne cherche pas la sidération esthétique. Sa mise en scène reste sobre, parfois presque trop sage. Mais cette sobriété est un parti pris : filmer le handicap non pas comme une “situation dramatique” mais comme une réalité quotidienne, faite de gestes simples, de repas partagés, de rendez-vous administratifs interminables. Le cinéma social, on le sait, a ses codes : conflits familiaux, scènes de tribunal, effusions lacrymales. Ici, la force naît de l’ordinaire, de l’inconfort, de la répétition. On sort moins bouleversé que traversé, travaillé de l’intérieur par la persistance de cette question : qu’est-ce qu’une place digne, aujourd’hui, pour celui qui ne rentre pas dans les cases ?
Grégory Gadebois, l’incarnation de la dignité fragile
S’il fallait un visage pour porter ce trouble, ce serait celui de Grégory Gadebois. Son Pierrot n’est jamais caricatural. L’acteur, massif et pudique, travaille dans l’économie : des regards, des gestes ralentis, un corps à la fois encombrant et vulnérable. Grégory Gadebois ne “joue pas” l’autisme ; il l’habite, il le laisse affleurer dans ses silences, dans ses colères muettes, dans cette manière d’être au monde qui déplace le centre de gravité du film. Ce n’est pas un rôle d’effet, c’est une incarnation ; et elle donne à Une place pour Pierrot sa densité morale. Là où d’autres auraient versé dans l’illustratif, lui fait surgir une vérité.
Un cinéma de la persistance
Au fond, Une place pour Pierrot est moins une fiction qu’un plaidoyer. Non pas un plaidoyer de tribune, démonstratif, mais un plaidoyer par l’expérience. Le spectateur n’est pas sommé de compatir ; il est invité à endurer, avec Camille, l’épreuve des obstacles. Le film ne révolutionne pas l’écriture cinématographique du handicap mais il s’inscrit dans un cinéma de la persistance, qui refuse les faux-semblants et choisit de montrer ce que c’est : aimer, porter, lutter et ne jamais cesser de chercher une place.
Il restera peut-être des reproches : une réalisation trop discrète, des personnages secondaires parfois esquissés à grands traits. Mais ces limites ne diminuent pas la portée du geste. Dans un paysage saturé de récits calibrés, Hélène Médigue offre un film qui croit encore que le cinéma peut être un outil de résistance. Pas en criant plus fort, mais en tenant, obstinément, la caméra sur ceux qu’on ne regarde jamais.