Il fallait bien Venise, la ville-miroir, pour offrir en cette fin d’été un contrepoint au vacarme du monde. Là où Cannes avait choisi la tribune, la Mostra a préféré l’élégance d’un pas de côté. Pas d’anathèmes, pas de slogans : une cérémonie d’ouverture scintillante, animée par la comédienne Emanuela Fanelli, qui rappelait que le cinéma reste d’abord une machine à émotions. Rire du bonheur des uns, pleurer du malheur des autres : l’empathie comme ultime langage commun.
Le collectif Venice 4 Palestine n’aura pas été entendu, ses appels à une prise de position sur Gaza demeurant lettre morte. Mais le festival assume : la politique s’y glisse dans les films, plutôt que dans les discours.

Herzog, le soldat de la vérité poétique
Moment fort : Francis Ford Coppola, silhouette vacillante mais sourire lumineux, remit un Lion d’or d’honneur à Werner Herzog. L’Allemand, qui se dit « bon soldat du cinéma », persiste à croire que seule l’image peut saisir une vérité poétique insaisissable. Venise se souvient alors que les grands cinéastes ne se contentent pas de représenter le monde : ils en repoussent les limites.
Sorrentino, entre grâce et crépuscule
Puis vint Paolo Sorrentino, avec La Grazia. Après le naufrage critique de Parthenope, il se réinvente en austère orfèvre de l’intime. Son président italien en fin de mandat, campé par Toni Servillo, n’est pas un César mais un veuf inconsolable, obsédé par l’idée que sa femme disparue l’ait trahi. Trois dilemmes l’assaillent : deux demandes de grâce et un projet de loi sur l’euthanasie.
Sorrentino filme les ambiguïtés de l’Italie contemporaine avec la gravité d’un testament : entre foi et raison, fidélité et trahison, amour et pouvoir. Fini le baroque flamboyant : ici, un gris hypnotique, traversé de fulgurances poétiques jusqu’à un improbable rap présidentiel, ovationné par le public.
Toni Servillo, fidèle complice depuis L’Homme en plus, incarne à lui seul une Italie mélancolique, héritière d’Andreotti comme de Mattarella. Une Italie de marbre fissuré, qui continue pourtant de vibrer.

Vladlena Sandu, révélation de la Mostra
Mais la véritable déflagration vint d’ailleurs. Avec Memory, la cinéaste russo-tchétchène Vladlena Sandu livre une œuvre hybride, entre archives réinventées, théâtre de figurines et récit autobiographique. Une enfance marquée par la guerre se transforme en poème visuel sur la mémoire et la violence. Rarement la douleur intime aura trouvé une forme aussi inventive, capable de résonner bien au-delà de la Tchétchénie.
Venise, l’autre miroir du monde
Ainsi s’ouvre la 82ᵉ Mostra : par un triple geste. Légèreté assumée face au tumulte politique. Hommage à un maître du cinéma de vérité. Exploration des zones grises de l’Italie contemporaine. Et enfin, émergence d’une voix neuve qui exhume la mémoire des blessures. Venise rappelle que le cinéma, loin des slogans, peut encore être un miroir fragile mais un miroir qui nous renvoie à ce que nous avons de plus vivant : notre capacité d’empathie.