Il y a des films qui se contentent de faire sourire ; Le Répondeur, lui, commence par là… puis appuie doucement là où ça fait mal. Fabienne Godet signe ici une comédie en apparence légère comme un petit marivaudage moderne autour d’un téléphone, d’un homme las, d’un acteur affamé, qui bifurque avec malice vers une exploration plus sombre : celle de l’imposture, du parasitage, et des lignes brouillées entre vivre pour soi et parler pour un autre.
Le point de départ a le charme d’une pièce de boulevard : Pierre (Denis Podalydès, taillé pour les rôles d’intellectuels en bout de course) est un écrivain désabusé, usé par ses amours mortes et les coups de fil trop vivants. Il engage Baptiste (Salif Cissé, révélation de justesse), comédien fauché mais doué pour l’imitation, pour répondre à sa place. Une délégation de parole en bonne et due forme mais qui va vite devenir colonisation.

Il faut saluer l’intelligence de mise en scène de Fabienne Godet. Jamais démonstrative, elle orchestre avec fluidité le glissement du comique à l’inquiétant, du théâtre au drame existentiel. Car en endossant la voix de Pierre, Baptiste ne fait pas que décrocher le téléphone : il s’empare de son réseau affectif, de ses fantômes et de ses possibles. La rencontre avec Elsa (interprétation fine de l’actrice Clara Bretheau), fille de l’auteur et peintre presque affirmée, donne au film une tension érotique bienvenue mais aussi une profondeur supplémentaire. Qui séduit-on, quand on parle avec les mots d’un autre ?
Le grand mérite du film est d’ouvrir sans insister des pistes troublantes : sur la propriété de la parole, la frontière entre rôle et usurpation, la solitude dorée d’un créateur en panne face à l’énergie brute d’un artiste de la survie. Le parallèle avec Théorème de Pasolini n’est pas usurpé. Comme chez le maître italien, un intrus vient fissurer les apparences d’un monde bourgeois qui croit tout contrôler.
Mais Le Répondeur ne se prend jamais pour ce qu’il n’est pas. Il reste une comédie, ponctué de dialogues ciselés, de quiproquos réjouissants et d’un sens aigu du rythme. On rit, certes, mais d’un rire un peu jaune, comme si chaque échange téléphonique résonnait en sourdine d’une imposture latente. On sort du film à la fois diverti et intrigué, avec la curieuse sensation qu’il dit quelque chose de notre époque, où chacun emprunte la voix de l’autre (réseaux sociaux, avatars, storytelling…) au risque de s’y perdre.
Le Répondeur est une farce réussie, doublée d’une réflexion feutrée sur l’appropriation, la création et l’identité. Fabienne Godet confirme son talent pour les films qui pensent en douce. Et Salif Cissé, avec son sourire de sphinx et son regard affamé, s’impose comme un acteur à suivre de très près, avant, peut-être, qu’on ne lui vole sa voix, à lui aussi.