Avec Différente, Lola Doillon signe un film sincère, parfois trop explicite dans son intention pédagogique mais porté par une justesse émotionnelle. En suivant le parcours d’une femme découvrant son autisme à l’âge adulte, le film interroge ce que veut dire aimer quand on ne coche aucune case.
« Suis-je tout ce que tu désires maintenant ou tout ce que tu détestes ? » La chanson Adore Adore Adore du groupe Sprints, qui ouvre Différente, annonce la couleur : celle d’un trouble, d’une intensité, d’une ambivalence douloureuse et lumineuse. Le quatrième long-métrage de Lola Doillon n’a pas peur des contradictions. Il les épouse, les traverse, les rend visibles. Et c’est peut-être là son plus bel acte de cinéma.
Dans Différente, on suit Katia (Jehnny Beth), trentenaire introvertie et documentaliste un peu à la marge, à qui l’on confie un sujet sur l’autisme. Très vite, c’est un miroir qui lui est tendu : ses propres étrangetés prennent sens, ses difficultés récurrentes s’éclairent. Le diagnostic tombe : elle est elle-même autiste, sans l’avoir jamais su. À rebours de la mise en scène spectaculaire du handicap souvent pratiquée à l’écran, Lola Doillon choisit ici la sobriété. Peu de pathos, encore moins d’héroïsation : juste une femme qui vacille et tente de se recentrer.

La force de Différente, c’est de ne pas se contenter du constat. Là où d’autres films auraient coché la case « sensibilisation » et déroulé un catalogue de bonnes intentions, Lola Doillon construit un véritable récit, incarné, sensoriel, plein de silences signifiants et de ruptures sensibles. Certes, on pourra reprocher au film sa tentation pédagogique, à travers notamment le rôle d’une association très vertueuse, mais il s’agit aussi d’une mise en abyme assumée : si Katia fait un documentaire sur l’autisme, c’est bien que le film lui-même entend pallier un manque criant de représentation.
Et puis il y a l’amour. Ce que Différente parvient à capter, dans une pudeur vibrante, c’est ce que veut dire aimer quand on n’entre pas dans les codes sociaux attendus. La relation entre Katia et Fred (Thibaut Evrard) échappe au schéma classique du couple dysfonctionnel ou rédempteur. Elle se fait fracture, ajustement, collision. Elle montre ce que beaucoup de récits taisent : qu’aimer n’est pas se fondre, mais faire l’effort, parfois immense, de rester deux, ensemble. C’est là que le film touche au plus juste : dans cette manière de dire que l’inclusivité n’est pas un concept à brandir mais une expérience concrète, quotidienne, exigeante.
Jehnny Beth, dans le rôle de Katia, est une révélation. Ou plutôt : une confirmation. Actrice en tension, elle joue l’intériorité sans jamais surligner et donne au personnage une densité rare. Un mélange d’opacité, de colère intérieure et d’un infini besoin d’être vue.
Différente n’est peut-être pas un film parfait. Il pèche parfois par excès de zèle explicatif, il trébuche dans quelques scènes trop écrites. Mais il a cette qualité devenue précieuse : celle de vouloir bien faire sans trahir ce qu’il raconte. C’est un film qui respecte son sujet et, plus encore, qui respecte son public. On lui pardonnera donc volontiers ses maladresses. Car il rappelle, en creux, une chose essentielle : ce qui nous rend différents, c’est aussi ce qui nous rend profondément humains.