Le film Joker de Todd Phillips, avec Joaquin Phoenix dans le rôle-titre, est une œuvre marquante qui s’éloigne des adaptations habituelles de bandes dessinées pour plonger dans une étude psychologique dense et sombre. Le film présente une représentation audacieuse d’un anti-héros et des thématiques lourdes.
La performance de Joaquin Phoenix
Joaquin Phoenix porte le film presque entièrement sur ses épaules. Sa transformation physique et émotionnelle est stupéfiante. Il incarne Arthur Fleck, un homme marginalisé, solitaire, et mentalement instable, qui finit par devenir le Joker. Son interprétation est intense, nuancée, et souvent déstabilisante. Il parvient à incarner à la fois la vulnérabilité et la terreur, ce qui fait que l’on peut parfois compatir avec lui tout en étant effrayé par sa descente dans la violence. Joaquin Phoenix a d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur acteur pour ce rôle, consolidant cette performance comme l’une des plus mémorables de sa carrière.
Le Joker ou un portrait de la société moderne ?
Joker met en lumière des problématiques sociétales, comme la pauvreté, l’isolement, l’inégalité économique, et le manque de soutien pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Arthur Fleck est un homme ignoré par la société, et sa transformation en Joker est en grande partie une réponse à ce rejet. Le film questionne la responsabilité collective dans la création de la violence et de la criminalité : jusqu’où peut-on pousser une personne avant qu’elle ne bascule ?
Le film ne serait-il pas aussi une critique de nos sociétés occidentales modernes, où les inégalités sociales créent un terrain fertile pour la rébellion, voire la violence ? Gotham, la ville du film, est, comme dans Batman, une métaphore de cette société en décomposition, où la frustration populaire bouillonne jusqu’à exploser.
La violence et l’ambiguïté morale
Todd Phillips n’embellit pas les actes de son protagoniste, mais il ne les condamne pas explicitement non plus. Cette ambiguïté morale soulève des interrogations : Joker glorifie-t-il la violence, ou la présente-t-il simplement comme une conséquence inévitable de l’injustice ?
La représentation de la violence dans Joker est brute, réaliste et souvent choquante, en particulier dans la manière dont Arthur Fleck réagit à ceux qui le maltraitent ou l’ignorent. Cela pousse les spectateurs à s’interroger sur leur propre empathie : jusqu’où peut-on accepter la souffrance de quelqu’un avant qu’il ne devienne inexcusable ?
Une rupture avec l’univers des supers héros
Contrairement aux autres films de l’univers de DC Comics, Joker est un film déconnecté des conventions du genre. Il ne présente pas de grandes scènes d’action, pas de combats dantesques entre héros et vilains, ni de pouvoirs surnaturels. C’est une œuvre intimiste et psychologique, davantage inspirée par des films comme Taxi Driver de Martin Scorsese ou The King of Comedy, plutôt que par les standards hollywoodiens actuels des films de super-héros.
Le film se concentre sur l’humain derrière le personnage du Joker, expliquant comment un homme peut devenir l’incarnation du chaos. Ce traitement réaliste et presque nihiliste fait de Joker une œuvre qui transcende son origine de bande dessinée pour devenir une réflexion existentielle sur la souffrance, la folie et la société.
L’esthétique du Joker
Todd Phillips surprend par sa direction, visuellement audacieuse et soignée. Le film est baigné dans une atmosphère oppressante, avec une utilisation sombre et crue de la lumière et des couleurs qui reflètent l’état psychologique d’Arthur Fleck. La bande sonore, composée par Hildur Guðnadóttir, est magistrale. Son travail renforce la tension et la déchéance mentale du personnage principal avec des sonorités lourdes et envahissantes. La musique fait presque office de personnage à part entière, accompagnant et accentuant les moments de rupture d’Arthur Fleck.
La ville de Gotham elle-même est un personnage central dans le film. Sale, oppressante et chaotique, elle est à l’image de l’état d’esprit de son protagoniste. Les décors urbains sont marqués par la désolation, la pauvreté et la violence latente, renforçant le sentiment d’une société au bord du gouffre.
Lion d’or à Venise et Oscar du meilleur acteur
Le film est une réflexion plus large sur la manière dont la société traite ceux qui sont perçus comme différents ou marginaux. Le manque de soutien, la déshumanisation des plus vulnérables et l’indifférence de la classe dirigeante sont des thèmes qui résonnent fortement dans le contexte politique et social actuel. Le film ne donne pas de réponses mais il pose des questions troublantes sur la façon dont nos sociétés modernes gèrent l’injustice et les inégalités.
Joker est un film complexe, dérangeant et provocateur, qui se distingue à la fois par la performance extraordinaire de Joaquin Phoenix et par sa capacité à explorer des thématiques profondes. Il s’agit moins d’un film de super-héros que d’une tragédie psychologique, voire d’un drame social. En adoptant un point de vue empathique sur un personnage habituellement perçu comme un pur antagoniste, le film force les spectateurs à remettre en question leurs propres préjugés sur la folie, la société et la violence.
Cependant, cette même complexité en fait un film difficile à digérer pour certains. L’ambiguïté morale, la violence explicite et le ton sombre ont créé une certaine polarisation. C’est une œuvre qui ne laisse personne indifférent, ce qui, en soi, est un signe de son succès artistique.